Kévinn Rabaud : « plein de frustrations positives »

À la sortie des championnats du monde au Qatar, Kevinn Rabaud dresse le bilan de la compétition. Le Directeur Technique National détaille le parcours des Tricolores à Doha et évoque le prochain rendez-vous majeur : le championnat du monde à Stuttgart 2019.

Le classement par équipes (5e pour les filles et 12e pour les garçons) est-il conforme aux forces en présence ?
Nos équipes ont répondu aux objectifs qui étaient annoncés, et ce de manière différente côté féminin et masculin. Les filles s’installent progressivement au sommet de la hiérarchie mondiale. Elles se situent tout près des meilleures pour bientôt concurrencer les postulantes au podium. Le travail engagé paie et il faut continuer à mettre de la difficulté dans les programmes. L’absence de Coline Devillard s’est faite sentir : le point supplémentaire, qu’elle aurait pu apporter, nous aurait fait le plus grand bien.

Si les filles sont bien placées pour la qualification aux J.O. de Tokyo 2020, le classement des garçons est-il un motif d’inquiétude ?
La 12e place des garçons comporte des motifs d’insatisfaction qui sont liés au résultat de nos généralistes qui, jusqu’alors, avaient toujours fait preuve d’une remarquable régularité. Sur le résultat brut, nous sommes au-dessus de ce qui avait été envisagé. Nous étions conscients que cette équipe serait en difficulté sur certains agrès et cela s’est confirmé. Le niveau d’exécution atteint lors des championnats d’Europe de Glasgow était élevé, mais à Doha il nous a fait défaut. L’équipe sera renforcée l’année prochaine. Pour ce championnat du monde 2018, nous avons dû faire face à des circonstances particulières et des blessures, comme celle d’Axel Augis, qui nous ont empêchés d’aligner ensemble nos meilleurs spécialistes afin de présenter une équipe homogène et complémentaire et de tenir notre rang dans la perspective de la qualification olympique de 2019. Afin de privilégier le résultat par équipes, les choix ont été extrêmement difficiles à effectuer. En produisant la performance attendue, les jeunes Antoine Borello et Paul Degouy ont fait leur travail. On peut regretter que nos deux généralistes, Loris Frasca et Julien Gobaux, ne soient pas rentrés en finale parmi les 24 qualifiés.

Même sans la médaille attendue, le bilan individuel des filles est-il satisfaisant ?
Je suis extrêmement frustré parce que nous avons senti tout le potentiel de notre équipe. Nous avons touché le podium de très près sans pouvoir y accéder. C’est rageant. Je suis reparti de Doha plein de frustrations positives. L’ambition de combler le léger retard donne envie de poursuivre le travail engagé. Même si elle a fortement contribué à la qualification de l’équipe, Marine Boyer a seulement terminé première réserve à la poutre et elle était logiquement frustrée au regard de son investissement. Après sa blessure survenue cet été, Lorette Charpy revenait de très loin. Compte tenu de sa préparation extrêmement courte qui l’a conduite à présenter des contenus légèrement réduits, son comportement a été exemplaire, sans aucune faute notable. C’était un bonheur de la voir évoluer au milieu de l’équipe de France. Malgré sa faible expérience internationale, Mélanie De Jesus Dos Santos a confirmé son rang de star mondiale et son statut de médaillable. De façon certaine, elle montera sur les podiums mondiaux dans les années qui viennent.

Championne d’Europe en titre, Mélanie De Jesus Dos Santos a terminé 6e de la finale au sol. Est-ce une contre-performance ou au contraire un résultat conforme à la concurrence ?
On ne peut pas parler de contre-performance car Mélanie présentait le 4e programme en niveau de difficultés. Elle a réalisé une superbe compétition, avec l’enchaînement des qualifications par équipes, la finale par équipes, le concours général et la finale au sol. Elle a abordé cette finale au sol avec de la fatigue. Mélanie a aussi subi une tension importante et une attention forte de l’ensemble du public de la gymnastique sur une compétition longue.

Selon vous, que faut-il mettre en place pour lui permettre d’accéder à un podium mondial ou olympique ?
Il s’agissait seulement de sa 2e participation aux championnats du monde. Il lui faudra probablement se préparer un peu différemment et augmenter son niveau de difficultés. Elle en a les capacités ; cela lui permettra d’avoir plus de marge de sécurité en termes de qualité d’exécution.

Côté masculin, seul Cyril Tommasone, le gymnaste le plus expérimenté de la délégation, a atteint une finale mondiale. Êtes-vous déçu de son classement final (8e) au regard de son potentiel ?
Il a passé son mouvement de qualification qui lui permet, lorsqu’il est bien réalisé, d’accéder à la finale. C’est aussi une garantie de résultat par équipes. Cyril a abordé la compétition comme un concurrent sérieux au podium. Ce mouvement de finale est maitrisé au quotidien. Dans la situation particulière d’une finale, il chute sur la toute fin du mouvement. C’est rageant. Il est remonté trop vite et cela a généré une deuxième chute qui l’a certainement privé de la 5e place. Ce n’est pas anecdotique car une telle place pourra avoir toute son importance l’année prochaine.

Quels sont les enseignements de ce Mondial à Doha en vue du prochain championnat du monde à Stuttgart (2019) qui sera qualificatif pour les J.O. ?
L’enchaînement des deux compétitions, concours par équipes puis finales individuelles, nécessite d’optimiser la gestion. La stratégie passera par la présentation de la meilleure équipe possible. Le circuit permettra de qualifier des individuels nominativement. Il ne faudra pas hésiter à annoncer clairement nos ambitions et à tout mettre en œuvre pour les atteindre. À Stuttgart en 2019, les filles viseront plusieurs médailles. Les garçons devront aussi hausser leur niveau afin d’afficher des objectifs plus ambitieux. Une analyse plus approfondie du Mondial de Doha permettra de dégager une stratégie.