Championnats d'Europe GR - Eva Serrano : un retour aux sources de la GR

17 ans après avoir foulé pour la dernière fois les praticables de Gymnastique Rythmique à l’occasion des Jeux Olympiques de Sydney, Eva Serrano continue d’arpenter les couloirs des compétitions. Elle a troqué son justaucorps contre une tenue de juge. Depuis 2003, date d’obtention de son diplôme, elle officie en effet lors des événéments internationaux. Elle est la juge française sur les 33èmes Championnats d’Europe de GR qui s’ouvrent ce jour à Budapest (HUN). Nous avons souhaité connaître son œil d’experte, tant comme gymnaste que juge, sur le nouveau code de pointage… Et sur la compétition à venir.

Quels sont les principaux changements entrés en vigueur avec le nouveau code de pointage associé au cycle 2017/2020 ?

Le changement majeur est celui de la notation. On est divisé à présent en quatre jurys, contre deux auparavant (Difficulté et Exécution). Le jury « Difficulté » a été séparé en « Difficultés corporelles » et « Difficultés engin » (le tout sur 10 points). Celui de l’« Exécution » devient maintenant « Artistique » et « Exécution technique » (somme des déductions techniques d’exécution) et donne un total sur 10 points. La note, toujours sur 20 points, est donc rendue plus complexe et peut-être un peu moins lisible.

Y a-t-il un aspect particulièrement mis en avant ?

L’artistique, qui a sa propre note, est dorénavant mieux mise en valeur. Les gymnastes doivent faire un effort au niveau de l’interprétation, de l’idée et l’unité de la composition et du rapport musique / mouvement. Les points y sont plus détaillés et plus complets qu’avant. Mais il y a également une grande orientation sur la difficulté, qui doit inciter les gymnastes à travailler plus particulièrement ce point-ci. Les difficultés corporelles n’ont pas beaucoup évolué, juste quelques détails. Le travail à l’engin a, lui, pris une place prépondérante.  Il y a plus de lancers et de manipulations à l’engin, ce qui peut nuire à l’Artistique.

Quel est l’objectif de ce nouveau code de pointage ?

La trame du précédent code a été conservé, avec l’exécution, qui fonctionnait bien et qui a peu évolué. L’accent a été mis sur la difficulté à l’engin, désormais très spectaculaire, avec des grands lancers et un travail technique particulier. Peut-être s’agit-il là d’un ressource aux sources de la GR, qui a commencé historiquement par du travail à l’engin. Les évolutions se sont ensuite succédé. Le début des années 2000 a vu le corporel tourner à l’extrême, ce qui a engendré une évolution assez brutale. On rebascule à présent sur le travail à l’engin, en espérant qu’on n’atteigne pas un nouvel extrême.

Quelles gymnastes se démarquent sur ce nouveau code ?

Au niveau européen, les Russes dominent. Elles savent vraiment se mettre à la page, cette fois-ci sur le travail à l’engin. Les Biélorusses sont également très performantes. Israël est également présente, ainsi que l’Italie, qui n’avait pas forcément des gymnastes très relevées sur l’ancien cycle et qui se replace bien. La Belgique, un peu à la traîne, remonte en catégorie individuelle. L’Ukraine semble un peu en retrait sur ce début de cycle en revanche, tout comme l’Espagne. Sur le plan mondial, les Etats-Unis ont énormément progressé. On sent qu’il s’agit d’une stratégie parfaitement déployée. Sans oublier Kséniya Moustafaeva qui, petit à petit, fait sa place et arrive à grignoter des points qui lui permettent de progresser dans la hiérarchie mondiale.

Comment se situent les gymnastes françaises ?

Les Françaises ont dû se réorienter vers un travail à l’engin plus présent. Au début de cycle, on n’avait pas forcément noté son importance. Lors des premières compétitions, on s’est rendu compte que c’est ce qui primait et on a corrigé cela. Plus largement la GR française n’a pas à souffrir de ce code : le travail à l’engin n’a jamais été son point faible.

En tant qu’ex-gymnaste, aurais-tu aimé performer sur ce nouveau code ?

Oui tout à fait. Surtout qu’après mon départ, les gymnastes ont dû présenter entre 18 et 25 difficultés. C’était extrême et pas forcément joli. On avait tout perdu… Ce code a laissé des traumatismes et personne ne veut retomber dans ce travers. On bascule aujourd’hui vers le côté engin, ce qui n’est pas pour me déplaire. C’est spectaculaire. Le public réagit sur des choses originales à l’engin ainsi que sur des lancers et des rattrapés.

Comment devient-on juge après avoir été gymnaste ?

C’est la suite logique de ma carrière professionnelle. Après mon retrait des praticables, j’ai intégré la commission des athlètes de la Fédération Internationale de Gymnastique pendant huit ans, en tant que présidente. Parallèlement, j’ai passé mon diplôme de juge en 2003, car cela me semblait important de par ma nouvelle fonction. Puis petit à petit, en prenant place auprès du comité technique, j’ai pu influencer sur l’évolution du code de pointage. Il en avait besoin ! On a également réussi, avec la commission des athlètes, à supprimer les entraînements sur podium, lors desquels les juges commençaient déjà à noter les gymnastes. Ce fut une belle expérience au final. Quand j’ai arrêté, je suis restée dans le milieu, en tant que juge. J’ai l’impression quelque part que c’est un rendu par rapport à ma carrière d’athlète : quand j’étais gymnaste, d’autres l’ont fait pour moi. Aujourd’hui, je me sens le devoir de transmettre cela à mon tour.

Comment ta carrière de gymnaste influence-t-elle ton travail de juge ?

Forcément cela a un impact. Même si on a un devoir de fairplay et de neutralité, je suis là pour défendre mon pays. J’ai vécu des choses difficiles quand j’étais gymnaste, notamment la tricherie. Des faits injustes que je ne peux pas cautionner aujourd’hui en tant que juge. Quand une gymnaste réalise de bonnes choses sur le praticable, cela me semble juste de la juger de manière correcte, au mérite. C’est ce que je compte bien faire à Budapest !